« âmes sœurs » de Magali Chouinard (c) Cynthia Dupuis

 

A l’occasion du festival de Charleville 2025, un certain nombre de compagnies québécoises donnent des représentations dans le IN comme dans le OFF, dont Magali Chouinard, qui présente âmes sœurs, un spectacle contemplatif complètement à part de ce qui est proposé par ailleurs : un moment de silence, une parenthèse dans le rythme et l’énergie du festival, un geste plastique qui est un régal pour les yeux.

 

C’est pour moi si :

  • j’ai besoin de faire un break sinon je vais craquer
  • j’ai soif de nature et rien ne serait plus doux à mon oreille que le murmure d’un ruisseau
  • je suis sensible à la poésie visuelle et à la finition minutieuse des éléments posés sur scène

 

Joies de la rencontre et de l’enfance

âmes sœurs est un spectacle qui peut surprendre en ce qu’il n’est absolument pas narratif : ce n’est pas que la narration serait déconstruite, elle est purement et simplement absente, et ce totalement à dessein. L’idée est de contempler, d’accompagner en temps réel un moment d’émerveillement et de découverte, l’observation d’un petit monde représenté sur scène. Un personnage humain, l’Enfant, fait irruption au bord d’un ruisseau, tractant derrière lui un arbre-chariot dont la base est entourée d’un grand nid de branches. C’est finalement l’écosystème tout entier qui serait l’autre personnage face à lui·elle : les brins d’herbe, les multiples animaux qui le peuplent, mais les pierres tout aussi bien, ou l’eau qui clapote à mesure que ses pas la·le mènent de flaque en flaque.

C’est une sorte de dramaturgie de la découverte ou de l’attention, peut-être une dramaturgie de l’empathie : lire les réactions de l’enfant, s’associer en imagination à ce que c’est que de tomber nez à nez – nez à truffe ? – avec un loup ou avec une grenouille pour la première fois, laisser remonter ses souvenirs d’enfance, la joie simple de la découverte, le plaisir instinctif de patauger. Pendant 45 minutes on va donc de rencontre en rencontre : âmes sœurs reste un spectacle situé du point de vue d’un·e humain·e archétypal·e, mais son moteur est bien la multiplication des contacts avec les êtres vivants – peut-être même non-vivants – qui peuplent ce microcosme. C’est reposant. Il ne se « passe » rien : les choses sont, c’est tout. C’est comme une douce rêverie, si on veut et si on peut l’accepter. Il y a tout de même une pointe d’humour et de légèreté… et peut-être une vision un peu naïve de l’enfance innoncente !

Rêverie visuelle en noir et blanc

Le rendu est d’autant plus onirique que le traitement n’est pas réaliste. Déjà, tout le spectacle est décliné en noir et blanc, avec des jeux exquis sur les nuances d’ombre, les textures, tout ce que peut créer l’utilisation minutieuse des nuages de points et du hâchurage. Et puis, les créatures-marionnettes ne sont pas construites pour faire illusion. L’Enfant est une marionnette habitée avec le corps bien en chair d’un chérubin, une tête surdimensionnée, et la taille d’un adulte. Les animaux sont réduits à leur tête, extrêmement travaillée, le reste de leur corps étant laissé à l’imagination des spectateurices, à l’exception d’un magnifique cervidé – on croit reconnaître un faon – qui vient à plusieurs reprises traverser la scène. Tout cela permet de se décaler par rapport à la réalité, d’entrer dans un monde entre-deux, profondément ancré dans le réel mais pourtant totalement étrange.

Cette facture plastique et visuelle très forte, déjà présente dans le travail de Magali Chouinard par le passé (par exemple dans le spectacle Âme nomade, voir l’article ici), prend toute son ampleur à l’occasion du présent projet : âmes soeurs va en effet se décliner également en format BD et court métrage animé, donc trois formes complémentaires et liées pour explorer le même univers, les mêmes sensations, le même point de vue, toujours autour de ce personnage de l’Enfant. Ce spectacle n’est donc qu’un aspect d’un travail de recherche sur le visuel et sur le mouvement, que l’on peut prolonger, ou compléter, d’autres façons.

âmes sœurs est comme un tableau animé paisible, qui permet de recentrer son attention et sa sensibilité et de la reconnecter à des énergies différentes.