
« Post Party » par la Big Up Cie ©Big Up Cie
Au programme de ce festival de Charleville 2025, une nouvelle création de la Big Up cie, co-mis en scène par Lucie Hanoy et Pierre Tual, sur un concept apporté par Alice Chéné : Post Party. Un seule-en-scène qui retrace, avec quelques marionnettes et surtout beaucoup de jeu de comédienne, la journée d’une femme en pleine dépression post partum. Le traitement est résolument moderne, le rire se mêle au drame dans un dosage bien senti, le fond est tout à fait sérieux et documenté mais la forme pleine de charme réussit à le faire passer, mieux que bien. Une belle réussite.
C’est pour moi si :
- je suis concerné·e par le sujet, ou par sororité – ou simple humanité – je m’y intéresse
- j’aime le théâtre généreux, drôle, pop, tendre, qui caractérise le travail de la Big Up cie
- j’aime bien qu’il y ait des marionnettes mais je veux surtout du théâtre, et que cela joue juste
Parler de blues c’est féministe : le projet Post Party
Ca commence avec une grosse teuf, le genre qui fait boum-boum, le genre aussi qui ne fait pas plaisir quand elle est organisée par la voisine du dessus, qu’on n’y participe pas soi-même, et qu’on essaie d’endormir bébé. Cela se finit avec À la Gloire des Femmes en Deuil fredonnée comme une comptine. Entretemps, il y a – évidemment – Celine Dion, moins évidemment Laure Manaudou, quelques coups de fil, quelques marionnettes, et le lent craquage de la mère de retour d’accouchement, qui n’arrive plus à gérer : ses émotions, son corps, son enfant, les injonctions que d’autres autant qu’elle-même lui déversent dans les oreilles à longueur de conversation… La proposition est enlevée, drôle, truffée de références à la culture pop, en même temps que le sujet est travaillé en profondeur.
Post Party a en effet cet immense mérite de s’attaquer très frontalement aux difficultés que certaines femmes ou hommes trans peuvent rencontrer pendant la période du post partum. L’époque est à la levée de certains tabous relativement à la fertilité, à la parentalité, au désir d’enfant, et Post Party s’inscrit pleinement dans ce mouvement qui consiste à montrer les choses telles qu’elles sont, à questionner les représentations sociales, à dire certaines vérités trop souvent tues, pour que celleux qui sont confronté·es à ces difficultés puissent se sentir moins seul·es et moins anormaux·ales. Dans la programmation du festival on pouvait d’ailleurs découvrir en parallèle le travail d’Anaïs Aubry qui, dans Foetus Project, interroge le conditionnement des personnes socialisé·es femmes à la maternité, une question qui est également centrale dans Travail, Famille, Papa Trie du collectif Ornicar qu’on croisait dans plein de lieux du Off.
Du théâtre avant tout, la marionnette pour un coup de pouce
Pour donner corps à sa proposition, Alice Chéné se retrouve seule en scène, même si certaines astuces lui permettent de convoquer quelques allié·es dans l’espace de la représentation, notamment avec quelques appels en visio sur son téléphone, dont l’écran est montré au public par projection sur des éléments scénographiques. Post Party est avant tout porté par un pur jeu d’actrice : elle arrive à tout jouer de façon convaincante, les larmes et les nerfs qui lâchent autant que la tendresse ou l’espoir. Dans la très grande salle que constitue le gymnase Jean Macé à Charleville, elle arrive à prendre sa place et à projeter l’émotion loin, de sorte que même en haut du gradin on reçoit encore la proposition en pleine poire. En culotte ou seins à l’air, avec une protection anti-fuites qui dépasse ou des nippies, elle engage autant son corps que sa voix pour donner consistance à cette jeune mère qui réalise graduellement qu’elle a besoin de demander de l’aide.
Finalement, la marionnette est assez secondaire dans ce spectacle… encore qu’elle garde son immense vertu de pouvoir porter une parole qui ne serait pas facile à prononcer sinon. Le personnage utilise une muppet pour dialoguer avec son bébé, mais également pour s’accompagner d’une présence qui la sort de sa solitude, ou pour incarner certaines personnes avec qui elle aurait besoin d’avoir une bonne explication – sa mère par exemple, dans une scène à la fois très drôle et assez glaçante. C’est très justement trouvé, car cette femme derrière ces marionnettes s’aide elle-même, en définitive : elle trouve au travers de ce medium d’autres ressources pour surmonter sa situation. Selon les utilisations, la manipulation est délibérément un peu approximative, quand le personnage en attrape une pour satisfaire immédiatement le besoin de lui faire porter une parole ; au contraire, quand la marionnette fait irruption dans la fiction en tant que personnage, ce qui arrive en réalité rarement, l’habileté d’Alice Chéné à manipuler peut se manifester.
Les tabous à l’épreuve d’une mise en scène extrêmement habile
Le sujet est sérieux, et le traitement est à la hauteur : exigeant, documenté, sensible aussi, il permet d’être en empathie avec cette femme et de prendre la mesure de la dureté de ce qu’elle traverse, privée de vie sociale, face à l’incompréhension de ses proches, aux prises non seulement avec son bébé mais avec les représentations sociales de la « bonne mère ». Cependant, l’une des forces de Post Party, c’est d’avoir beaucoup de tendresse pour tous ses personnages, et de désamorcer le pathos par l’humour. On reconnaît là les procédés qui réussissent si bien au duo Lucie Hanoy – Pierre Tual (déjà responsable avec Aurélie Hubeau de pépites comme Juste une mise au point ou L’Imposture) : comique psychologique et de situation, autodérision, rapprochements vertigineux et autres personnages caricaturaux – on salue particulièrement le personnage de la cousine, fixée en vidéo par une Elise Combet atrocement peu empathique – viennent introduire un rire salvateur. Alice Chéné se révèle avoir un sens de la comédie qui fait mouche.
Post Party est une œuvre politique et poétique, dont l’expression passe par un vocabulaire visuel développé. Le réel s’invite au plateau par l’intermédiaire de vrais témoignages, que l’on voit d’abord projetés à l’écran – cela marche moins bien quand ils sont purement auditifs, en tous cas tant qu’Alice Chéné ne les incarne pas en faisant du lip sync. Aussi par les visages de dizaines de femmes et d’hommes trans qui rejoignent l’espace théâtral pour signifier la foule des personnes concernées, et briser l’impression d’isolement. C’est aussi l’intrusion de la figure de la Vierge à l’enfant, idée magnifique à plus d’un titre, dont on ne révélera pas comment elle s’invite dans la mise en scène, mais qui est l’occasion d’images majestueuses en même temps qu’elle fait puissamment sens pour expliquer le rapport de nos sociétés à la maternité. C’est l’occasion notamment d’utiliser la projection vidéo d’une façon un peu moins convenue que pour montrer l’écran d’un téléphone portable – même si on conçoit que ce dernier élément a du sens dramaturgiquement et qu’il peut séduire un public adolescent auquel ce spectacle est aussi destiné.
On pourrait encore disserter longuement de ce très beau spectacle, de son rapport à la connaissance et à sa circulation – très malin d’avoir introduit le faux podcast Big up mes soeurs, il faut encourager Lucie Hanoy à rééditer l’expérience en vrai –, son utilisation de la musique et de la pop culture pour mieux attraper son public – ce qui pose l’angoissante question de savoir si Céline Dion est encore une icône pour la génération Z –, l’habileté avec laquelle les metteur·euses en scène font exister un monde riche en hors champ tout maintenant l’unique personnage dans son huis clos… Mais il faut savoir conclure, par exemple en parlant de la chute : Post Party se clôt sur une ouverture et un message d’espoir, après 65 minutes qui ont paru bien courtes… Ce spectacle constitue donc un remède possible au mal dont il traite. Le théâtre ne peut pas tout soigner, mais sans doute répare-t-il, en l’occurrence, quelque chose, et c’est un cadeau précieux.