Trust Me For A While de la cie Plexus Polaire ©Vincent Arbelet

Trust Me For A While de la cie Plexus Polaire ©Vincent Arbelet

En clôture de la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette, le théâtre Mouffetard – CNMa programmait Trust Me For A While de la cie Plexus Polaire. Cette mise en scène d’Yngvild Aspeli assistée de Laëtitia Labre est écrite autour d’un duo constitué d’un marionnettiste ventriloque et de sa marionnette, et est conçue pour jouer dans des lieux non équipés. D’abord drôle, la pièce se fait grinçante pour finir sur une note glaçante…

C’est pour moi si :

  • j’admire l’art de la ventriloquie
  • j’ai envie de jouer à me faire peur
  • j’apprécie les spectacles de longueur moyenne (une trentaine de minutes) au rythme extrêmement punchy

 

Une marionnette (bonhomme) peut en cacher une autre (inquiétante)

La ventriloquie n’est pas beaucoup pratiquée en France, mais, dans d’autres pays, elle renvoie fortement à l’univers du divertissement, au cabaret voire aux émissions humoristique sur petit écran. C’est des codes de ce genre de plateaux que s’inspire la scénographie de Trust Me For A While : il y a du strass et les chatoiements des faux ors, il y a de jolis costumes bien propres et des tours de chant dignes des crooners états-uniens d’il y a un demi siècle. Et au centre du plateau une malle, contenant une marionnette à bouche articulée, Teddy, et le marionnettiste ventriloque qui l’anime. Ou du moins, qui l’anime… dans un premier temps.

Comme il s’agit d’un spectacle d’Yngvild Aspeli, on se doute que le ver est dans le fruit. L’utilisation de la ventriloquie ne manquera pas de réveiller quelques souvenirs chez les spectateurices de Jerk, de Gisèle Vienne, avec le fantastique Jonathan Capdevielle. Trust Me For A While n’ira pas aussi loin, mais prend presque immédiatement une tournure étrange, la marionnette coupant très rapidement la parole au marionnettiste pour lui annoncer que son chat est mort, avant de commencer à l’insulter – au “toquard” succèdera un savoureux “théâtre contemporain dépressif de marionnettistes merdiques”.

 

Chercher l’art – et le gore – sous le vernis du divertissement

Dans sa note d’intention, Yngvild Aspeli dit son admiration de l’art de la ventriloquie, qu’elle aimerait aller chercher sous le divertissement. Pour cela, elle amplifie le malaise, met en scène la perte de contrôle, joue sur les apparences de la marionnette à priori innocente, à priori dépourvue de toute autonomie, pour instiller le doute et faire place à un désordre des éléments qu’on avait cru familiers. Son projet se résume très bien en une phrase : “Une histoire d’amour tendre mais tragique mettant en scène un magicien raté et un personnage possédé armé d’un couteau.”

On glisse donc graduellement dans l’horreur, par degrés. D’abord une horreur psychologique, quand l’inanimé se révèle plus vivant que prévu – de simples relais de parole et de manipulation, Pédro Hermelin Vélez n’étant pas, en réalité, le seul marionnettiste en scène, permettent de montrer un Teddy qui semble de plus en plus autonome et de plus en plus menaçant…. Arrive alors l’horreur à forte teneur en hémoglobine, mise en scène de façon presque burlesque avec du faux sang et un couteau vraiment pas très convaincant, à la manière d’un Chucky qui n’essaierait pas vraiment de faire peur.

Au passage, de nombreux mécanismes classiques de la marionnette sont employés pour atteindre l’effet désiré. Le fondamental, c’est évidemment la manipulation, bien dissociée, avec des petites fioritures comme du bunraku (presque) caché. Il y a un jeu intense de caché – révélé, pour produire les effets d’animation de la marionnette et même comme principe d’articulation des scènes entre elles. Il y a une exploitation astucieuse des échelles, qui aident à troubler la perception des choses : marionnette portée remplacée par une marionnette habitée, marionnettiste réduit à la taille d’une Kokoschka manipulée par des mains géantes… Que du très connu, mais du très efficace.

 

Simplicité des moyens et efficacité des effets

Ce qui est assez saisissant dans ce Trust Me For A While, c’est le fait que tout se voit, tout est fait de bric et de broc, et pourtant le plaisir à regarder le spectacle est entier, peut-être par ce qu’il y a un une stimulation particulière dans le fait d’être complice de l’arnaque. Les portiques sur lesquels sont accrochés les rideaux formant fond du décor se voient très bien, on aperçoit les pieds des manipulateurices en dessous, le double fond de la malle est évident… Les marionnettistes en jouent : Pédro Hermelin Vélez désolidarise la tête de Teddy, et montre au public les contrôles qui lui servent à animer son visage.

Sans doute que l’une raison pour lesquelles cet aspect bricolé fonctionne est que cela correspond bien au côté enlevé, très rythmé, un peu fou du spectacle. Mais certainement aussi que la maîtrise par les interprètes de la partie technique constitue la partie cachée de l’iceberg, derrière ces dehors délibérément approximatifs. Pédro Hermelin Vélez se révèle être un très bon ventriloque, en plus d’avoir une manipulation très bien cadencée et bien dissociée, qui permet à l’illusion d’indépendance de la marionnette d’exister. Mélody Shanty Mahe prend efficacement le relais en aveugle quand il le faut, et elle prend un plaisir manifeste à animer porter le masque de Teddy quand vient son tour d’habiter le personnage. Dans les coulisses, Laëtitia Labre œuvre pour rendre tout cela fluide.

On ne tient peut-être pas là un manifeste de la marionnette comme ambitionne de l’être Une Maison de Poupées. Mais ce retour à une forme plus courte et beaucoup plus légère réussit bien à la cie Plexus Polaire : sans renoncer à quelques-uns de ses thèmes de prédilection, Yngvild Aspeli s’autorise un peu de folie et d’humour, renonce à la perfection formelle pour mieux creuser le fond… et revenir à l’essentiel : la technique marionnettique.