Jean Clone du collectif AÏE AÏE AÏE - Julien Mellano (c) Laurent Guizard

Jean-Clone du collectif AÏE AÏE AÏE – Julien Mellano (c) Laurent Guizard

 

Avec Jean-Clone, Julien Mellano du collectif AÏE AÏE AÏE continue de travailler avec le matériau qui l’occupe depuis déjà quelques spectacles : un théâtre autour de l’objet, des sujets scientifiques qui confinent à la métaphysique, et un traitement par l’humour et la dérision. Un spectacle découvert à Pantin dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette portée par le Mouffetard CNMa.

 

C’est pour moi si :

  • je me demande parfois quelle est la place de l’humain dans l’univers
  • j’aime la distance mise par l’absurde et une ironie finement maniée
  • je veux voir des objets sur scène, mais mis en oeuvre différemment de ce que l’on voit habituellement au théâtre d’objet

 

L’Odyssée de l’espèce

« Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ? » grasseille Jean-Clone, dont la voix « toute pourrie » est dûe aux bulles d’hélium présentes dans l’atmosphère du corps astral sur lequel il se réveille après une seconde naissance. Il est vrai que Jean-Clone se retrouve coincé là – comprenons-nous – sans avoir rien demandé à personne, tout juste expulsé d’une sonde spatiale biomimétique qui s’inspire fortement du règne végétal, plus précisément d’une gousse d’ail.

« Là », c’est une planète pas complètement accueillante mais dont la surface molle en polychlorure de vinyle presque noir a permis un atterrissage en douceur. « Là », c’est l’Aventure avec un grand A, celle de la colonisation de l’espace, dont Jean-Clone, malgré ses cheveux blancs et le vieillissement accéléré par la présence d’une naine blanche dans les parages, sera le héros. Ou les héros. Ou pas, puisqu’il n’est que l’auxiliaire de Flower, l’intelligence artificielle qui lui distribue des ordres.

 

Huis clos interstellaire en mode absurde

Sur fond de galimatias techno-inspiré, cette situation extrême permet de faire l’hypothèse, avec un humour parfois un peu noir, de ce que serait une humanité en roue libre tentant de coloniser l’univers. Une humanité un peu perdue, confrontée à sa propre finitude, plus très autonome face aux intelligences dont elle s’est dotée, et pas peut-être pas très douée pour tirer des enseignements des erreurs du passé.

On est cependant loin de 2001 : l’Odyssée de l’espace : Flower ne malmène pas trop Jean-Clone, même si elle ne lui porte pas une considération profonde – quand elle lui passe les meilleurs morceaux de musique orchestrale de sa playlist, c’est pour influer sur la psychologie de l’humain et lui insuffler l’inspiration dont il semble manquer. De péripétie en rebondissement cocasse, ce huis clos de survie interstellaire se déploie en respectant magnifiquement la règle des trois unités (un temps – un lieu – une action), mais en l’assaisonnant d’un goût pour l’absurde qui tient bien plus des Monty Pythons que de Racine.

 

De l’hubris et de l’IA

L’objet a ici une grande place : pas plus que celle des comédiens, mais pas moins non plus. La capsule spatiale, le « gynécée » où Flower se livre à la cuisine d’une « soupe » qui constitue le grand enjeu de cette expédition, les panneaux solaires, ont leur importance, mais tiennent du décor. La matière employée pour figurer les acides aminés – ou peut-être ribonucléiques, d’après Jean-Clone – est animée d’un mouvement propre qui permet de mettre en scène l’éclosion de la vie, sans qu’on puisse en dire davantage afin de ne pas gâcher la surprise. Sans que l’on puisse dire qu’elle ait un rôle moteur de l’intrigue, elle contribue à transformer la perception que nous avons de ce qu’il se passe sur cette planète désolée.

Flower, en revanche, est incarnée sur scène par un projecteur sphérique motorisé, dont l’illusion de « vie » est d’autant plus efficace que son aspect globuleux et son faisceau lumineux lui font un regard très convaincant, même si pas du tout humain. Cette façon de faire exister sur scène une IA dont le rôle dramaturgique est central est intéressante, et parfaitement convaincante. Certain⸱es des spectateurices y reconnaîtront peut-être leur assistant⸱e vocal⸱e préféré⸱e. La marionnettisation de ce projecteur télécommandé est parfaitement réussie.

 

Du fond sans en avoir l’air

C’est continuellement drôle et intrigant, mais le fond est là, et il n’est pas tout à fait aussi léger que l’humour distillé tout au long de la proposition. Ce spectacle traite, quand on y pense, de notre hubris en tant qu’espèce, et également de notre finitude, collective et individuelle. Et que dire de l’idée de tenter de conquérir l’univers en y répandant de vieux mâles blancs ? Sous les dehors d’une farce, Julien Mellano invite à regarder quelques vérités dérangeantes, la moindre n’étant pas l’avènement du Grand Algorithme…

Un spectacle que l’on peut voir en profitant juste des plaisanteries et de l’intrigue bien dialoguée, mais qu’on peut également prendre un peu plus au sérieux…